un peu d’espoir

Le quotidien a ceci de terrible qu’on s’y habitue.
On s’habitue même au pire. On s’habitue à l’absence parce qu’elle devient familière.

Je me rappelle des tous premiers jours à la maison sans Paul. Je me rappelle de la profondeur sans fin du vide en moi. Autour de moi. Je me rappelle le vertige, le haut-le-cœur. Je me rappelle les mots en boucle dans ma tête. « Qu’est-ce qu’on va faire? »

On a fait ce qu’il y avait à faire. On s’est levé le matin. On a mis un pied devant l’autre. On a fait semblant. Et à force de faire semblant, on a fini par y croire. Je n’y aurais pas cru l’an dernier à pareille date, mais je réussis à vivre à peu près normalement maintenant. Les efforts que me demandent les tâches quotidiennes et les interactions sociales ont diminué de façon considérable au cours des derniers mois.

Alors que l’été dernier, sortir de la maison me vidait de mon énergie et impliquait un travail de mise en scène important, j’arrive maintenant à passer des journées presque normales. Des journées où mes pensées pour Paul sont douces et simples, où elles ne portent pas le poids du drame. Son visage qui m’accueille chaque fois que j’utilise mon téléphone ou mon ordinateur provoque en moi l’amour et la fierté que j’avais pour lui quand il était encore là, simplement.

Ce nouvel état est plus facile à négocier au quotidien que le désespoir dans lequel j’évoluais il y a encore quelques mois. Mais le soulagement de reprendre pied dans une réalité moins dramatique est mi-amer. Je me sens parfois submergée de tristesse quand je réalise, encore une fois, la nature irrévocable de l’absence de Paul. Par moments, soudainement, je prends conscience de l’anormalité de la situation dans laquelle nous nous trouvons. Notre enfant n’est plus. Notre enfant est mort. Les projets que nous avions pour lui sont à jamais oblitérés. Nous ne pourrons jamais partager avec lui à quel point il était désiré. Nous ne pourrons jamais lui raconter l’histoire de sa naissance, de ses premières semaines, encore moins les mois qui auraient dû suivre.

L’histoire de Paul est irrémédiablement limitée à un cours laps de temps, amputée si intensément que c’en est étourdissant. Quand j’arrive à visualiser l’ampleur de ce désastre, de notre perte, j’ai de la difficulté à comprendre comment je peux réussir à participer à la vie « normale ». Comment une situation si anormale, si triste peut-elle s’insérer si aisément dans le reste des dimensions de mon quotidien? Je n’ai pas de réponse satisfaisante à cette question. Uniquement une intuition que d’ajouter de la culpabilité à mon incrédulité ne servirait à rien. Ni à personne.

Alors je continue de fonctionner. Parfois au prix d’efforts importants, parfois, étonnamment, en ayant trop peu d’effort à faire. Et quand la journée se termine et que je sens s’abattre sur moi le manque intense de la présence de Paul, j’essaie de lui faire la place qu’il mérite dans mon quotidien.

 

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La présence de bébé-lentille dans mon ventre et dans ma vie a certainement un impact non négligeable sur cette impression de retour à la normale. Ses mouvements forts et réguliers qui m’habitent et rythment mes jours et mes nuits m’obligent à croire au futur. Peut-être parce que je ne sais pas comment me préparer à son arrivée autrement qu’en reproduisant les gestes posés en attendant Paul, peut-être parce que je suis incapable de laisser entrer dans mon esprit la possibilité de perdre mon enfant une deuxième fois, je m’aperçois que je finis par y croire.

Hier j’ai dit à quelques personnes, sans utiliser le conditionnel, que cet été, j’aurais un bébé avec moi.
Hier j’ai acheté un jouet pour bébé-lentille. Un jouet qui ne servira pas avant plusieurs mois mais qui sera là quand il ou elle grandira.

Je me permet d’y croire.

Une réflexion au sujet de « un peu d’espoir »

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