fines lignes roses

Il y a deux ans, presque jour pour jour, une très fine ligne rose nous annonçait le tout début de ton aventure parmi nous. Une marque verticale presque imperceptible à moins d’avoir l’œil aguerri par l’espoir. Pareil pour les sensations subtiles qui commençaient à m’habiter, porteuses d’un bonheur plein d’étonnement.

Les neuf mois qui ont suivi n’ont pas été de tout repos. De ta place privilégiée, tu m’as sûrement entendue me plaindre de mes petits maux, de mes pieds enflés, de mes chevilles disparues, de ma fatigue intense. Je n’ai pas vécu la grossesse légère et épanouie dont j’avais rêvé. Mais tous ces désagréments, sans compter celui, mal vécu, d’avoir « raté » mon accouchement, ont valu la peine. Ils ne sont rien face au bonheur intense que tu nous as fait vivre.

Même en connaissant d’avance la souffrance des mois qui ont suivi ton décès, je ne voudrais pas sacrifier les journées que nous avons partagées.
À trois — une famille, enfin.
À dix, à vingt — dans la communauté qui attendait impatiemment pour t’accueillir en son sein.
Toi — au centre de tout cela, au centre de nos existences.

Tu y es encore. Ton existence a laissé des traces si profondes en moi. Elle continue de me marquer, indélébile, à l’antipode de la fine ligne rose qui chuchotait timidement ton arrivée imminente dans nos vies. Ton existence est inscrite dans mon corps, dans toutes ces lignes aux tons carmin qui me parcourent, mais aussi dans mon cœur, ouvrant la voie à l’arrivée de ton petit frère ou de ta petite sœur.
Bientôt.
Si tout va bien.

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Il y a tout juste un an, à l’aube de ce projet d’écriture qui se poursuit, je témoignais de mon sentiment de culpabilité intense suite à la mort de Paul. J’avais peur. Je doutais être un jour capable de prendre soin d’un autre bébé, d’un autre enfant, sans être paralysée par la peur de mal faire.

Après cette année à cheminer, à retourner dans ma tête ce que j’ai fait, ce que j’aurais dû faire, ce que j’aurais pu faire — un an à faire deux pas en avant, un pas en arrière, et parfois trois — j’ai encore peur. La peur est là, la culpabilité n’est pas tout à fait partie non plus, mais ni l’une ni l’autre n’a encore l’effet paralysant qu’elles ont eu aux cours des derniers quinze mois.

Elles m’habitent encore mais j’ai appris à les apprivoiser. Comme le Petit Prince avec son renard, j’ai appris doucement à créer des liens avec la peur, avec la culpabilité, je leur ai fait une place dans ma vie. J’ai ouvert un dialogue interne avec elles. À certains moments, c’est à peine un murmure, à d’autres, des cris de désespoir m’habitent. Mais ça arrive de moins en moins. Au cours des dernier jours, la conversation a pris la forme d’un dialogue empreint d’émotions mais aussi de réflexions et de négociations.

Je viens de passer près de deux semaines à tenter des interventions douces pour que bébé-lentille abandonne sa position en siège pour se placer tête en bas, sans succès. Deux semaines de yoga, d’acuponcture, et de visualisation mais aussi de pourparlers internes entre la peur de faire quoi que ce soit qui puisse avoir un effet délétère sur bébé-de-mai — même en connaissant les faibles risques associés à l’intervention qui m’était offerte — et celle de devoir à nouveau passer sous le bistouri — qui comporte d’autres risques, évidemment.

Ce matin, finalement, j’ai consenti à une version céphalique externe.

Tout s’est bien passé. Bébé-lentille est maintenant tête en bas, pour l’instant du moins, et les trois heures de suivi de ses battements de cœur et de ses mouvements m’ont rassurée sur sa forme.

La peur était là, mais elle ne m’enserrait plus comme le garrot qui m’a étouffée si souvent depuis plus d’un an. Elle se distend parfois, prend plus de place en moi, se déroule, s’étale et m’empêtre. Mais j’arrive, de plus en plus, à lui faire reprendre une place moins envahissante, à l’enrouler à peu près convenablement autour d’une bobine, laissant dépasser quelques fils qui me rattachent à Paul. D’autres fines lignes qui nous unissent.

2 réflexions au sujet de « fines lignes roses »

  1. Typhaine,
    Ce que vous avez traversé tous les trois dans ces deux années , et maintenant avec Bébé lentille, t’a fait pousser des antennes pour capter et partager toutes ces vibrations de la vie dans ses bonheurs et ses douleurs. Merci de les partager de manière à nous faire vibrer aussi. Hier, j’ai vu des roselins et un junco sautiller dans l’herbe avec son bec si jaune. Et ce matin, c’est le drôle de chant du cardinal qui m’a réveillée. On dirait qu’il siffle les filles, celui-là. Le printemps est là.

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