imaginer

Il a fait froid aujourd’hui. Comme il y a huit ans quand nous avons pris le chemin de la maison de naissance, où j’espérais t’accueillir. Comme quand nous sommes sorti.es de l’hôpital, quelques jours plus tard, en famille. Il y a eu tant de journées froides, pendant ce mois de janvier il y a huit ans. J’écris « huit ans », mais je ne parviens pas réellement à mesurer la somme de ces années. Je ne sais pas ce qu’il est advenu de tous ces jours, dont certains passent pourtant si lentement.

Tu aurais huit ans demain et je ne sais plus t’imaginer. Tes cheveux sombres cachent le visage que je tente d’entrevoir en fermant les yeux. Les photos de toi tout petit se superposent à l’idée de toi tel que tu serais aujourd’hui, demain, à huit ans. Je te sens coincé dans un retranchement de ma tête encombrée, sans espace pour te déplier. Je peine de plus en plus à te rêver.

Les besoins de ton frère et de ta sœur, leurs humeurs, leurs travers, leur douceur, leurs joies — tout cela occupe beaucoup de place dans le quotidien. Tout cela et l’incertitude qui n’en finit pas. Les écoles qui n’ouvriront pas avant on ne sait quand. Les garderies qui restent ouvertes mais pas tout à fait, puisqu’on nous demande d’éviter de les utiliser. Mon impression constante de ne pas être à la hauteur de la mère que je voudrais être. Mon projet de doctorat qui provoque maintenant en moi plus de stress que d’enthousiasme. L’épuisement des vingt-deux derniers mois. La lourdeur de ceux qui s’en viennent, encore marqués par l’isolement et l’inconnu.

Tout cela explique peut-être pourquoi je n’imagine plus aussi souvent comment tu t’intégrerais dans notre quotidien. Je n’ai pas envie de t’imaginer une fête de huit ans sans invité.es.

J’ai envie de te rêver une journée d’anniversaire lumineuse. Une journée pour célébrer qui tu es, avec les personnes que tu aimes. Je veux imaginer tes cris triomphants pendant un après-midi de glissades avec tes potes. Tes joues rougies par le froid. Le gâteau que tu aurais choisi, et que j’aurais cuisiné. Ton sourire en déballant des cadeaux. Ta fatigue à la fin de la journée. Ton corps déjà trop long affalé sur moi après le départ de tout le monde. J’imagine ma joue sur ta tête, mon nez dans tes cheveux en bataille.

Je n’ai pas besoin d’imaginer l’émotion qui m’habiterait en tentant de prendre la mesure des années écoulées depuis ta naissance.

Je t’aime mon bébé d’hiver. Bon anniversaire.

Photo de Haoshuang Lou sur Pexels.com

Une réflexion au sujet de « imaginer »

  1. Typhaine te lire est si émouvant à chaque fois… puissant, chamboulant et doux à la fois…. Je revis le temps d’un souffle la puissance et la vulnérabilité du mot maman…… de la conjugaison du temps partagée avec papa, la fratrie, la maisonnée, ces états de performance anxiogènes en conflit avec se laisser devenir et respirer
    Merci pour ces mots mis sur des sentiments si intimes et si réels
    …..

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