bébé-interlude

(pour celles/ceux qui seraient sensibles à ce sujet : ce billet parle de mon bébé vivant et pas vraiment de deuil)

 

À peine de retour à la maison après quelques jours au chalet de la famille de P., on se prépare à recevoir de la visite. Ma tante qui habite aux États est de passage en ville pour quelques jours. Elle vient faire un tour avec ma grand-mère.

J’essaie de remettre un peu d’ordre dans la maison. Je veux que ça ait l’air propre. C’est ma routine à peu près chaque fois que j’ai de la visite, surtout la visite de ceux et celles qui ont toujours été des adultes dans ma vie… C’est un peu pour donner bonne impression, et un peu parce que la visite, c’est la meilleure source de motivation pour passer par dessus mon manque d’intérêt chronique pour le ménage. Quand les gens repartent, je continue de profiter du rangement.

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quoi dire, quoi écrire?

Mes mains sont souvent prises, je manque un peu de temps pour écrire.
Surtout, je ne suis plus certaine de savoir quoi écrire.
Ces jours-ci, évidemment, mon quotidien est plus rempli par les activités de la maternité que par celles du deuil.
Je pense a Paul, je parle de lui, mais il m’occupe moins mes pensées et mon emploi du temps que c’était le cas il y a encore quelques semaines.

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dates

Les dates significatives, les jours et les mois qui s’additionnent, les anniversaires qui se succèdent. Je ne suis pas la seule à tenir le compte, à accomplir cette comptabilité du deuil. Ça semble même être une pratique assez généralisée parmi les parents qui vivent sans leur bébé. Peut-être parce qu’on a pas ou si peu de moments dans le passé à souligner, on s’accroche à continuer d’imaginer le futur dont on avait rêvé pour notre enfant.

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trop calme

Première sortie dans un magasin avec Aimé. Je veux acheter un appareil photo, un projet qui se transforme vite en une petite expédition familiale. Dans la voiture, je fais l’effort de m’asseoir devant plutôt qu’à côté du siège de bébé. Je crois qu’il vaut mieux que je m’habitue dès maintenant à mon stress quand ni moi ni P. avons les yeux sur Aimé. Le trajet est court. Je m’en sors à peu près bien, même si je suis contente d’arriver.

Pendant que je compare les modèles d’appareils photo, indécise, P. promène Aimé, bien lové dans ses bras à travers les rayons, fait un petit stop dans un fauteuil, revient me voir. Tout se passe bien, Aimé dort paisiblement. Je finis par me décider. Je passe à la caisse et nous reprenons le chemin du stationnement.

Presque arrivés à l’auto, P. fait remarquer à quel point Aimé a été calme. On ne l’a pas entendu depuis le départ de la maison. Soudain, sans prévenir, les larmes montent, ma gorge se serre.

Il a été tellement calme. Trop calme.
Calme comme Paul, que je croyais assoupi mais qui avait cessé de respirer.

Ça ne dure qu’un instant. J’arrive à me raisonner, à me rappeler que les bébés, a priori, n’arrêtent pas de vivre comme ça. Ça va aller. Ça doit aller.

Sur le chemin du retour, je m’assois à l’arrière.

émotive 

Une semaine tout juste depuis son arrivée. Je baisse les yeux sur Aimé et les petits plis de son cou, sa peau de nouveau-né qui pèle un peu, ses petites mains curieuses font enfler en moi un sentiment de tendresse sans fond, mêlé d’un intense désir de protection. Dix fois, cent fois par jour et par nuit, je m’assure qu’il respire. Je pose la main sur sa cage thoracique pour en sentir les mouvements, je lui caresse la joue pour qu’il réagisse doucement, je guette les sons légers qu’il émet pendant le sommeil. Un instant, alors, je me sens rassurée. Mais par moments, je suis emportée par le savoir intime que je ne peux pas tout contrôler, ni le protéger des aléas de la vie. Par moments les larmes m’envahissent, mélange de peur et d’amour pour ce tout petit être dont nous avons la charge, de tristesse et de frustration de n’avoir rien pu faire pour protéger son grand frère de la mort.

Je suis émotive.

Ça va de soi, j’imagine.

Pourtant, depuis cinq jours, je rejoue dans ma tête les interactions que j’ai eues avec cette infirmière dont le ton donnait à ce qualificatif toutes les caractéristiques d’un diagnostic inquiétant, voire d’une insulte.

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Aimé…

Après s’être laissé attendre une dizaine de jours, bébé-de-mai est enfin arrivé. Aimé est né le 21 mai et se porte à merveille. 

Comme son grand frère, il est doux et beau et plein de vigueur. Je l’aime déjà tant et j’ai hâte de le découvrir et de le voir grandir. 

J’attendrai à plus tard pour raconter et disséquer les émotions que sa venue provoque, et comment ça transforme et transformera mon lien à Paul et à aux expériences de la maternité, de la mort, du deuil. Pour tout de suite, je sentais le besoin de partager que cet événement que nous avons attendu impatiemment est arrivé. 

Les neuf mois de traversée de la grossesse sont terminés. Devant nous, une immense étendue inconnue à perte de vue. Une vie entière à découvrir, tant de chemin à parcourir sans en connaître la longueur, la durée. Nous posons prudemment les pieds sur ce sentier qui pourrait se révéler traître — comment oublier que la route est parfois si courte sans raison? J’entame le chemin, accompagnée par mon petit marcassin, bercée entre le l’inquiétude face à l’avenir et la tristesse de redécouvrir ce qui nous a été arraché, mais aussi, portée par le bonheur de l’arrivée d’Aimé, par sa toute petite main qui me tire vers l’avant. 

 

en attendant

J’ai de la difficulté à écrire. Mon esprit est trop occupé par l’impatience et une part de moi a peur de laisser une trace écrite de mon état d’esprit actuel. S’il arrivait quelque chose à bébé-de-mai, je m’en voudrais de ne pas avoir profité de chaque moment de cette grossesse à son plein potentiel.

Mais dans la réalité, mes mains et mes pieds enflés, l’inconfort prononcé de presque chaque mouvement, et les petites frustrations quotidienne (aujourd’hui, par exemple: apprendre que mon rendez-vous de suivi était reporté à demain) m’empêchent de me connecter au bonheur de porter en moi la promesse d’une vie qui se déploiera sous nos yeux. Mon sentiment de ras-le-col total a pris le dessus sur ces considérations plus nobles…

ShareAlors à la place, je lis, j’écoute, je regarde.
Je colorie même (!) Lire la suite

derniers jours

Dans les guides pour les nouveaux parents et les applications de grossesse, qui s’adressent semble-t-il en priorité aux parents (ou aux mamans) qui attendent leur premier enfant, j’ai lu à plusieurs reprises des conseils du genre « profitez de ces dernières journée en amoureux, après vous n’aurez plus le temps ». Parfois, un conseil du même genre est donné aux parents qui ont déjà un-e petit-e à la maison: « profitez de vos derniers moments en tête-à-tête avec votre ainé-e ». C’est ce que disent aussi les mamans-blogueuses qui attendent bébé #2. C’est ce que m’aurait conseillé ma sage-femme, j’imagine, quand je lui ai dit mardi que j’étais impatiente d’accoucher. C’est ce qu’elle aurait pu me dire si Paul avait été là, petit marcassin de seize mois.

À la place, elle a insisté sur le fait que le bébé est au meilleur endroit pour lui en ce moment, et qu’il ne m’en reste pas long à patienter — ce qui est vrai et plein de sens mais qui ne calme pas mes angoisses. À la place, j’ai dû me retenir de pleurer en entendant sa stagiaire nous dire qu’on se croisera peut-être dans deux ans, quand elle aura terminé sa formation, si on attend un deuxième enfant. À la place, je me suis retenue de lui dire à quel point ça me fait mal de l’entendre oblitérer l’existence de Paul. À la place, je lui ai répondu avec une phrase vide et à peu près polie, que pour l’instant je me concentrais sur ce bébé.

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ça

Décider de devenir parent, de mettre un enfant au monde, implique forcément de faire un saut dans le vide, de croire un instant que l’on peut défier la mort. Il y a des années que j’avais hâte d’en arriver là dans ma vie. Je savais qu’il était souhaitable d’attendre qu’un minimum de conditions soient réunies pour accueillir un enfant dans ma vie mais je n’ai jamais dressé de longue liste de choses à accomplir avant la maternité.

Je crois qu’au fond de moi, je sais depuis longtemps que je veux avoir des enfants rapidement pour pouvoir en profiter le plus longtemps possible, une logique pas infaillible que je tiens de mon expérience d’avoir des parents plus âgés qui sont tous les deux décédés beaucoup trop tôt. Je savais que d’avoir des enfants 10 ans plus tôt que mes parents ne garantirait en rien que je passerais 10 ans de plus à en profiter, que j’offrirais 10 ans de plus sans deuil important à mes enfants. Je savais ça mais ça n’a pas empêché ce calcul étrange de jouer un rôle dans ma décision de devenir maman au moment où je l’ai prise.

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renversement

Aujourd’hui, je me suis retrouvée, je pense, dans une situation étrange. Une sorte de renversement de rôles auquel je ne m’attendais pas. Je dis « je pense » parce que je ne suis même tout à fait certaine d’avoir bien saisi la situation en question. Mais je crois que sans le vouloir, j’ai fait subir à une maman ce que je voulais éviter à tout prix il y a quelques mois.

Après être allée aller manger avec une collègue, de passage à mon travail pour répondre à quelques questions de la personne qui me remplace, je me suis retrouvée au milieu d’une de ces conversations typiques de fin de grossesse. Il faut dire que je me sens à l’aise d’aborder ces questions avec mes collègues, qui ont été extrêmement présent-e-s et à l’écoute suite à la mort de Paul, à mon retour au travail l’an dernier, puis à l’annonce de cette nouvelle grossesse. J’ai répondu à leurs questions sur la position du bébé, j’ai partagé mes impressions par rapport à mon congé, et à l’attente de l’arrivée de bébé-de-mai.

La conversation était légère. Je ne sentais pas le besoin d’exprimer mes inquiétudes face au futur, justement parce que je n’avais pas à les cacher. Savoir que j’aurais pu en parler avec ces personnes, savoir qu’elles m’auraient écoutée me suffisait. Alors je m’en suis tenue à des aspects plus banals de mon quotidien. De l’extérieur, j’imagine, j’avais l’air d’aborder ces derniers jours de grossesse avec la même confiance qui m’habitait juste avant la naissance de Paul. J’avais l’air de vivre dans l’ignorance de tout ce qui peut mal tourner, dans la naïveté qui précède le drame. J’avais l’air d’avoir rejoint le monde des vivant-e-s, du normal, du simple.

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