quinze

quinze mois je n’y crois pas
quinze mois sans Paul
quinze jours avant l’arrivée
d’un petit frère ou d’une petite sœur
peut-être un peu moins
pas beaucoup plus en tout cas

quoi qu’il arrive
j’approche d’un tournant
avec l’impatience
grandit en moi une certaine confusion
la tristesse et la promesse du bonheur
entremêlées / entrelacées / enchevêtrées

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p(l)eurs

Paul,

Il y a des jours où je sens que la vie a repris son cours presque normalement. Je fonctionne comme avant. Le poids de ton absence ne disparait pas pour autant mais la charge est supportable. J’arrive à naviguer dans le quotidien, en parlant de toi, en pensant à toi souvent, mais avec un certain détachement, je doit l’admettre. Par moments, je sens que ton absence fait partie de ma vie, tout simplement. Comme si je m’étais résolue à ce qu’elle soit dans l’ordre des choses. Comment faire autrement? La révolte permanente contre la réalité est trop épuisante, j’imagine.

Mais même si je le fais taire, ce fond de révolte m’habite toujours, menaçant de fomenter un coup contre mon État intérieur trop calme. Le tumulte grandit en moi, parfois sans que je me rende compte, et finit par déborder par le coin de mes yeux rougis, à travers ma gorge enrouée, les commissures de mes lèvres, mon nez débordant. Mon corps se révolte et se révulse, m’obligeant à prendre le temps, à faire l’effort de tenter de comprendre ce qui m’habite.

La liste de tout ce qui me fait réagir, de tout ce qui met en évidence ton absence gigantesque s’allonge et s’allonge jusqu’à m’emporter dans les pleurs. Lire la suite

combler le vide

Il y a plusieurs années de cela, j’ai eu envie d’écrire sur mes parents. Sur ma mère, d’abord. J’imaginais un travail documentaire qui me permettrait de mieux la connaître. Puis, quand peu de temps avant le décès de mon grand-père, mes grands-parents paternels ont décidé de rédiger leurs histoires de vie respectives, j’ai eu envie d’écrire pour pour que mon père ait aussi sa place dans ce récit collectif. Après la mort de Paul, j’ai écrit aussi.

Soudain, les mots m’aidaient à sculpter du sens dans la matière brute et inexplicable de ma réalité. Ils me permettaient de me réapproprier un tant soit peu le narratif de ma vie. Lire la suite

capture your grief 14/15

day 14 — dark/light
day 15 — community

light-dark

la flamme des bougies

symbole collectif
traditionnel ou réinventé
partagé

symbole d’espoir
de fragilité
de chaleur

la flamme des bougies

qui brille mieux dans le noir
qui s’y éteint plus violemment aussi
à l’image de celles et ceux qui naviguent
la mort, le souvenir, le deuil

qui apprennent
à tâtons
à avancer dans le noir
à travers les branches et les fossés

qui apprennent
à tomber
à avancer dans une mare de goudron
à ne pas asphyxier

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ta chambre

mon petit Paul,

ça se passe au milieu de la nuit…

Je suis éveillée depuis plusieurs heures. Je tourne et me retourne, incapable de trouver le sommeil. Pour éviter de réveiller ton papa, je change de pièce. Je vais dans ta chambre, celle que tu n’as jamais utilisée, celle qui ne te servira jamais. Celle que j’appelle toujours la chambre de Paul. Lire la suite

les strates

La fatigue me pèse. Je me sens épuisée, physiquement et émotivement, malgré le fait que j’ai pu prendre plusieurs semaines de congé cet été, il y a si peu de temps. Les semaines depuis ont passé vite. Comme les semaines de repos, même si je n’en ai pas fait grand-chose. J’avais besoin d’avoir du temps pour moi, du temps pour penser à Paul, pour faire le point sur les derniers mois.

Cinq semaines pour moi. Ça peut paraître beaucoup, ça peut paraître suffisant, du moins. Et pourtant c’est un tout petit laps de temps, une petite tranche parmi les multiples segments qui forment le temps écoulé dans la dernière année. Lire la suite

maman

Je tisse mes fils à partir de rien, j’assemble, j’interprète, je borde ce rien avec la volonté sauvage de sauver le passé. Ce récit est une toile pleine de trous dans laquelle j’essaie de capturer ma mère, je voudrais qu’elle n’ait plus de secrets pour nous. Elle me résiste pourtant, comme pour dire, N’essaie pas de m’immobiliser, tu n’y arriveras pas. Et je vois se dessiner, noir sur blanc, les contours de mon échec. Je sais que je suis empêtrée dans ma propre fiction. Ma mère est devenue un personnage de roman, et mon grand-père, ma grand-mère, ma tante. Me voilà devant une réalité de plus en plus vacillante. »

— Louise Dupré, L’Album multicolore, p.59

Louise Dupré a eu plus de soixante ans pour connaître sa mère et malgré cela, elle peine à réunir les souvenirs et les faits qui lui permettraient de rendre compte de la vie de cette femme, de leur relation qui s’est étendue sur des décennies. C’est peut-être peine perdue. Peut-être ne connaît-on jamais vraiment ses parents?

J’ai certainement l’impression de n’avoir pas connu ma mère. Pas suffisamment. Pas assez longtemps, pas assez profond, pas assez vrai. Ça ne sert peut-être pas à grand-chose de m’y attarder, mais si je pouvais revenir en arrière, ou donner un conseil à la fille de douze ans que j’ai été, je voudrais poser mille questions à ma mère. Je sais que c’est vain. La fille de douze ans que j’étais était dépassée par les événements, incapable de vivre pleinement les émotions multiples et contradictoires qui l’habitaient. Lire la suite

les bruits, les oublis

english below…

En lisant le texte d’une maman sur le silence de son bébé qui n’est plus, je me rends compte que je ne m’aperçois plus du silence. Pire, je ne me souviens plus des sons de Paul.

Pendant ses quatre semaines avec nous, il a passé beaucoup de temps à dormir et à téter. Il a pleuré aussi, certainement, mais mes souvenirs auditifs sont pour ainsi dire absents.

J’ai oublié les pleurs de Paul à la naissance parce que je naviguais entre conscience et demi-sommeil drogué.
J’ai oublié ses pleurs au creux de la nuit, peut-être par souci de me souvenir plutôt de ce silence partagé. Paul dans mes bras, s’abreuvant de moi.
J ‘ai oublié les petits bruits de Paul, quand tout allait bien. Faisait-il des bruits? J’ai beau racler le fond de ma mémoire, je n’arrive pas à déterrer un seul son. Lire la suite